01/11/2020

— Bon, voilà ! Et normalement, c'est le moment où l'on va au troquet du coin se caler un irish coffee dans le cornet pour se réchauffer...

— Malheureusement, les troquets sont fermés par décret ces temps-ci ! Font chier au gouvernement à vouloir nous protéger malgré nous !

Elle sourit à ma boutade.

— Rien n'est comme d'habitude cette année, ajoute-t-elle un peu mélancolique.

— Tu as raison, il ne fait même pas froid cette année... Alors qu'est-ce que tu veux qu'on aille picoler un irish coffee à 9 heures du mat' dans un rade miteux par 13°C ?

— En plus, l'irish coffee c'est dégueulasse ! Mieux vaut encore rentrer boire un café avec ton père.

— Maman, tu ne bois pas de café non plus !

Elle sourit encore, avant d'ajouter :

— Drôle de Toussaint quand même, c'est la première fois qu'il ne vient pas avec moi mettre les pots de fleurs sur les tombes.

— Crois-moi, ça me fait drôle aussi de faire ça ! C'est lourd et salissant, rien que pour ça, je préfèrerais qu'il ne soit pas malade.

Je souris, elle aussi.

Ce matin, mon père n'a pas accompagné ma mère pour la traditionnelle virée qui consiste à fleurir nos morts dans les cimetières environnants. Il n'a pas attrapé la COVID avec certitude mais il est contact d'un cas contact. Par mesure de prévention, en attendant les résultats d'analyse du cas contact et qu'il se fasse lui-même tester, nous avons réussi à le convaincre qu'il valait mieux que ce soit moi qui aille avec maman et que je saurais me montrer digne de cette mission. J'arpente donc d'étroites allées gravillonnées depuis 7 heures du matin par un beau dimanche ensoleillé.

En réajustant le masque chirurgical qui glisse sur mon nez à cause de la transpiration, je peux lire sur ma montre : Pavel vous a envoyé un message vocal. Je l'écouterai une fois rentré à la maison.

Autour du fameux café promis en récompense de nos efforts, mon père s'enquiert de la bonne distribution des fleurs :

— Vous ne vous êtes pas trompés ? La grosse coupe mauve c'était pour Mèmère !

— Papa ?! Comment veux-tu qu'on se trompe ? Elle la mettait déjà elle-même sur Pèpère il y a 25 ans : 3 pieds de chrysanthèmes à grosses boules mauves. Ce n'est plus une habitude dans cette famille, c'est un rite sacré ! Par contre, les autres, comme on s'en fout... On a mis au pif !

Tout le monde rit même si mon père lève vaguement les yeux au ciel, pour la forme.

Après avoir autant parlé de chrysanthèmes, je sens bien leurs regards sur mes bras couverts de tatouages. Avant qu'ils ne me demandent si ces mêmes fleurs qu'on retrouve ça et là sur mon corps sont liées à la tradition familiale, je tente une retraite vers ma chambre. Ma mère me rappelle simplement de penser à venir faire cuire "mes graines" avant midi parce qu'elle ne sait pas cuisiner pour les gens comme moi. J'acquiesce en lui précisant que les végétariens ne sont pas une espèce à part. Mon repli s'est bien passé. Le pire sujet a été évité et surtout la question « Tu vas peut-être arrêter maintenant, t'en as pas assez ? ».

Une fois dans ma chambre, j'écoute le message de Pavel.

« Ne ferait-il pas un temps à retourner se balader autour du lac de Bled sous le beau soleil slovène ? » Message envoyé à Pimienta 🌶.

01/11/2020