20/11/2020
18h43. *clic* « #TGIF »
dit la photo que j'envoie à Sven du fond de mon bain. Seule mon érection dépasse du nuage de mousse sous lequel je suis dissimulé. Tour de Pise solide mais maladroitement dressée par l'afflux sanguin dans mes corps caverneux. Mon entrejambe me suppliant de relâcher la pression d'une semaine bien trop longue. Mais quelle pression ? Cette émeute de sentiments contradictoires, ce bouillonnement d'émotions paradoxales, cette profusion de pensées jusqu'à saturation dans la cocotte-minute de l'introspection, cette effervescence de regrets qui refusent de se taire. Confinés.
Sven vous a envoyé un Snap. La caméra du smartphone dans sa main droite se rapproche d'une bouteille de vin posée sur la table basse. À côté, un verre vide. De plus près, on distingue l'étiquette. Il s'agit d'un Beaujolais Nouveau. Je me demande comment il s'est procuré cette bouteille, si cette piquette est vendue à un prix indécent chez lui et d'où lui vient sa connaissance de cette tradition française. Sa main gauche empoigne la bouteille, remplit le verre, repose la bouteille puis se saisit du verre qu'il lève vers le ciel en un geste qui signifie « Santé ! ». La légende, elle, dit : « OH MY GOD 😍😍😍 »
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Je me redresse pour me retrouver assis dans la baignoire, me penche légèrement vers l'avant en direction de la caméra faciale du téléphone, camoufle ma calvitie sous une épaisse perruque de mousse, gonfle mes pectoraux, rentre mon ventre et déclenche la vidéo. Je souffle de toutes mes forces sur la grosse boule de mousse que je tiens dans ma main libre, la droite. Les bulles de savon qui volètent autour de moi obstruent par moments l'objectif. À la fin, seule la moitié de la mise en scène demeure visible, le reste n'est que reflets irisés. Snap envoyé à Sven.
Sven vous a envoyé un Snap. Sven de face, le regard fixe, ces yeux comme plantés dans les miens. Sa beauté est criante sur chaque image de la vidéo. Il penche son verre et laisse couler quelques larmes de vin rouge sur la peau blanche de son long torse nu. D'un vif mouvement de tête, il rejette ses mèches blondes de chaque côté de son visage et laisse apparaître sa lèvre inférieure pincée entre ses dents. En bas de l'image, le vin coule sur son ventre imberbe et trouve son sexe tendu.
Ma main à présent émerge du tapis de mousse et rencontre le campanile de chair, plus droit que jamais. Les va-et-vient provoquent de petits clapotis d'eau qui éclaboussent l'objectif et déforment l'image. C'est au travers d'une loupe incertaine que mon spectateur verra le monument exploser, son jet chaud jaillir et mourir dans un *plop* discret, s'avachir jusqu'à disparaître sous le nuage opalin, abandonné par la main qui soutenait ses fondations.
19h24. Je rejoins mes parents dans la cuisine où mon père met le couvert tandis que maman vérifie la cuisson de la préparation dans le four qui embaume la pièce.
— Tiens, tu veux gouter le Beaujolais Nouveau ? me demande mon père. On pourrait trinquer à la santé de ta tante qui va, a priori, mieux !
On trinque. Cette année encore, la cuvée est une adorable piquette !